La réforme Macron de 2015 a profondément transformé le paysage notarial français en instaurant le principe de liberté d’installation régulée. Cette mutation majeure du cadre d’exercice de la profession a engendré un contentieux nourri et complexe. Les aspirants notaires se heurtent à divers obstacles administratifs et juridiques lorsqu’ils souhaitent s’installer dans les zones dites « d’installation libre ». Face à ces entraves, les voies de contestation se multiplient, mobilisant différentes juridictions et soulevant des questions fondamentales sur l’équilibre entre régulation professionnelle et liberté d’entreprendre. Cette analyse juridique approfondie examine les principaux freins à l’installation des notaires et les moyens de les surmonter par les procédures contentieuses appropriées.
La liberté d’installation notariale : un principe aux contours juridiques controversés
La liberté d’installation des notaires constitue l’une des innovations majeures de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques. Cette réforme a rompu avec le système traditionnel de numerus clausus qui prévalait depuis des décennies dans la profession notariale. Le législateur a ainsi instauré un régime dual distinguant des zones d’installation libre et des zones d’installation contrôlée, déterminées par l’Autorité de la concurrence.
Dans les zones dites « vertes » ou d’installation libre, tout candidat remplissant les conditions légales peut théoriquement créer un office sans restriction quantitative. Cette libéralisation vise à stimuler la concurrence et à rajeunir une profession longtemps perçue comme fermée. Toutefois, cette liberté demeure encadrée par des mécanismes de régulation qui en limitent la portée pratique.
Le cadre juridique de cette liberté repose sur l’article 52 de la loi Macron et ses décrets d’application, notamment le décret n°2016-661 du 20 mai 2016. Ces textes ont établi une procédure de nomination sur demande qui se substitue partiellement au système antérieur de nomination ministérielle discrétionnaire. Néanmoins, le Garde des Sceaux conserve un pouvoir d’appréciation significatif, source de nombreux contentieux.
La jurisprudence administrative a progressivement précisé les contours de cette liberté d’installation. Dans une décision marquante du 16 octobre 2019, le Conseil d’État a jugé que le ministre de la Justice pouvait légalement refuser une demande de création d’office notarial, même dans une zone d’installation libre, lorsque cette création risquait de porter atteinte à la continuité de l’exploitation des offices existants. Cette interprétation restrictive a considérablement atténué la portée du principe de liberté d’installation.
Les fondements constitutionnels et européens de la liberté d’installation
La liberté d’installation notariale trouve un ancrage constitutionnel dans la liberté d’entreprendre, consacrée par l’article 4 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Le Conseil constitutionnel a validé le dispositif de la loi Macron dans sa décision n°2015-715 DC du 5 août 2015, tout en rappelant que cette liberté peut être limitée par des objectifs d’intérêt général, comme la bonne administration de la justice.
Au niveau européen, la Cour de Justice de l’Union Européenne a reconnu dans plusieurs arrêts que les notaires exercent une mission de service public justifiant certaines restrictions à la liberté d’établissement. Néanmoins, ces restrictions doivent demeurer proportionnées à l’objectif poursuivi, conformément aux principes généraux du droit de l’Union.
Les obstacles administratifs à l’installation : analyse des refus ministériels
Malgré le principe législatif de liberté d’installation, les candidats notaires se heurtent fréquemment à des refus administratifs qui constituent le premier niveau d’obstacle à leur projet professionnel. Ces décisions défavorables émanent principalement du Ministère de la Justice, qui dispose d’un pouvoir d’appréciation maintenu par les textes.
L’analyse des refus ministériels révèle plusieurs motifs récurrents. Le premier tient à l’atteinte potentielle à la continuité d’exploitation des offices existants. Ce critère, consacré par la jurisprudence du Conseil d’État, permet à l’administration de rejeter une demande d’installation même dans une zone théoriquement libre. Le Ministère de la Justice s’appuie sur des études d’impact économique pour évaluer les conséquences d’une nouvelle installation sur l’équilibre économique du secteur dans la zone concernée.
Un deuxième motif fréquent concerne l’insuffisance du dossier présenté par le candidat. La procédure de nomination implique la constitution d’un dossier complet démontrant la viabilité du projet et les compétences du demandeur. Les services ministériels appliquent une interprétation stricte des exigences formelles, conduisant à des rejets pour des motifs parfois perçus comme excessivement formalistes par les requérants.
Le troisième obstacle administratif réside dans la saturation du quota d’installations prévu pour la zone. Bien que qualifiées de « libres », ces zones font l’objet de recommandations quantitatives par l’Autorité de la concurrence. Une fois ce quota atteint, l’administration tend à refuser systématiquement les nouvelles demandes jusqu’à la prochaine révision de la carte d’installation.
- Refus fondés sur l’atteinte à la continuité d’exploitation des offices existants
- Rejets pour insuffisance ou incomplétude du dossier de candidature
- Refus liés à l’atteinte du quota de créations recommandé pour la zone
- Décisions de sursis à statuer en attente de la révision de la carte
La procédure administrative présente elle-même des complexités qui constituent autant d’obstacles. Le système de tirage au sort, instauré pour départager les candidats multiples sur une même zone, a fait l’objet de critiques pour son caractère aléatoire jugé peu compatible avec une sélection basée sur les compétences. Le Conseil d’État a néanmoins validé ce mécanisme dans une décision du 17 juin 2019, estimant qu’il garantissait l’égalité entre les candidats.
Les délais d’instruction constituent un autre frein significatif. Le silence gardé par l’administration pendant deux mois vaut théoriquement acceptation, mais cette règle est souvent contournée par des demandes de compléments d’information qui interrompent ce délai. Certains candidats se trouvent ainsi dans une situation d’attente prolongée, parfois interprétée comme une stratégie dilatoire de l’administration.
Le contentieux de l’installation notariale devant les juridictions administratives
Face aux obstacles administratifs, les candidats notaires se tournent fréquemment vers le juge administratif pour contester les décisions défavorables à leur installation. Ce contentieux spécifique s’est considérablement développé depuis la mise en œuvre de la réforme, enrichissant la jurisprudence relative à la liberté d’installation.
Le recours pour excès de pouvoir constitue la voie procédurale privilégiée contre les refus ministériels. Cette action en annulation permet de contester la légalité externe et interne de la décision administrative. Sur le plan de la légalité externe, les moyens invoqués concernent principalement les vices de procédure et l’incompétence de l’auteur de l’acte. Les candidats évincés soulèvent fréquemment l’insuffisance de motivation des refus, en violation de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs.
Quant à la légalité interne, les requérants contestent l’erreur de fait ou l’erreur de droit commise par l’administration dans l’appréciation de leur dossier. Ils invoquent notamment l’erreur manifeste d’appréciation lorsque le ministère considère que leur installation porterait atteinte à la continuité d’exploitation des offices existants sans démonstration économique rigoureuse.
La jurisprudence administrative a progressivement dégagé plusieurs principes structurants. Dans un arrêt du 24 mai 2018, le Conseil d’État a jugé que l’administration devait procéder à une analyse économique circonstanciée avant de refuser une installation pour motif d’atteinte à la continuité d’exploitation. Cette exigence a renforcé la charge de la preuve pesant sur le ministère, sans toutefois remettre en cause son pouvoir d’appréciation.
Le contrôle juridictionnel exercé demeure généralement un contrôle restreint, limité à l’erreur manifeste d’appréciation. Toutefois, certaines décisions récentes suggèrent une évolution vers un contrôle normal, particulièrement lorsque sont en jeu des libertés fondamentales comme la liberté d’entreprendre. Cette évolution jurisprudentielle, encore embryonnaire, pourrait significativement renforcer la position des candidats à l’installation.
Les recours spécifiques contre les décisions de l’Autorité de la concurrence
Outre les recours contre les décisions ministérielles individuelles, un contentieux distinct s’est développé contre les actes réglementaires encadrant la liberté d’installation. Les cartes d’installation établies par l’Autorité de la concurrence et les arrêtés ministériels fixant les zones et les recommandations d’implantation font l’objet de recours collectifs, généralement introduits par des instances représentatives de la profession.
Dans une décision importante du 16 octobre 2017, le Conseil d’État a partiellement annulé l’arrêté ministériel du 16 septembre 2016 qui fixait la première carte des zones d’installation, estimant que certaines recommandations quantitatives n’étaient pas suffisamment étayées. Cette décision a contraint l’Autorité de la concurrence à revoir sa méthodologie pour les cartes ultérieures, illustrant l’impact du contentieux sur l’évolution du cadre réglementaire.
Les procédures d’urgence, notamment le référé-suspension, sont régulièrement mobilisées par les candidats notaires confrontés à un refus d’installation. Le juge des référés apprécie alors la condition d’urgence et le doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée. La jurisprudence reconnaît généralement l’urgence lorsque le refus compromet un projet professionnel avancé, impliquant des engagements financiers significatifs.
Les contestations devant les juridictions judiciaires : une voie complémentaire
Si le contentieux administratif constitue la voie principale de contestation des obstacles à l’installation, certains litiges relèvent de la compétence des juridictions judiciaires. Cette dualité juridictionnelle complexifie la stratégie contentieuse des candidats notaires mais offre des perspectives complémentaires.
Les juridictions judiciaires interviennent principalement dans deux types de contentieux. Le premier concerne les litiges entre professionnels, notamment les actions en concurrence déloyale intentées par des notaires établis contre de nouveaux entrants. Ces procédures, qui se déroulent devant le Tribunal de commerce, peuvent révéler des stratégies d’entrave à l’installation déployées par les professionnels en place.
Dans une affaire remarquée jugée par le Tribunal de commerce de Paris le 12 mars 2018, un notaire nouvellement installé a obtenu la condamnation d’un confrère pour dénigrement et pratiques anticoncurrentielles visant à dissuader sa clientèle potentielle. Cette décision illustre comment les mécanismes du droit de la concurrence peuvent être mobilisés pour protéger la liberté d’installation effective.
Le second domaine d’intervention des juridictions judiciaires concerne les litiges relatifs aux contrats de collaboration ou de salariat. De nombreux candidats à l’installation sont d’anciens collaborateurs ou salariés d’études notariales. Leur départ pour créer leur propre office peut générer des contentieux relatifs aux clauses de non-concurrence ou aux obligations de loyauté post-contractuelles.
La Cour de cassation a développé une jurisprudence nuancée sur ces questions. Dans un arrêt du 11 mai 2017, la première chambre civile a considéré qu’une clause de non-concurrence excessive pouvait constituer une entrave illicite à la liberté d’installation des notaires. Ce faisant, elle a intégré les principes de la réforme Macron dans son appréciation de la validité des stipulations contractuelles restrictives.
L’Autorité de la concurrence joue également un rôle dans ce contentieux judiciaire. Ses avis, bien que non contraignants pour les juridictions, exercent une influence significative sur l’interprétation des règles de concurrence applicables au secteur notarial. L’avis n°18-A-08 du 31 juillet 2018 a ainsi clarifié les pratiques considérées comme anticoncurrentielles dans le contexte de l’installation de nouveaux professionnels.
Les actions en responsabilité contre l’État
Une voie contentieuse émergente consiste à engager la responsabilité de l’État pour dysfonctionnement du service public de la justice. Certains candidats évincés estiment que les retards excessifs dans le traitement de leur demande ou les erreurs manifestes commises par l’administration leur ont causé un préjudice indemnisable.
Ces actions, qui relèvent du Tribunal administratif, supposent de démontrer une faute de l’administration, un préjudice et un lien de causalité. La jurisprudence reconnaît que le retard anormal dans le traitement d’une demande d’installation peut constituer une faute de nature à engager la responsabilité de l’État, comme l’a jugé le Tribunal administratif de Paris dans une décision du 15 novembre 2019.
Stratégies juridiques pour surmonter les obstacles à l’installation
Face à la complexité du contentieux de l’installation notariale, les candidats doivent élaborer des stratégies juridiques adaptées pour maximiser leurs chances de succès. L’analyse des décisions rendues permet d’identifier plusieurs approches efficaces pour contester les obstacles administratifs et professionnels.
La première stratégie consiste à anticiper les motifs de refus en constituant un dossier particulièrement solide. Les candidats avisés intègrent désormais une étude d’impact économique détaillée, démontrant que leur installation ne menacera pas la continuité d’exploitation des offices existants. Cette démarche proactive réduit le risque de refus et, le cas échéant, fournit des éléments précieux pour contester une décision négative.
Une deuxième approche implique la combinaison des voies de recours administratives et judiciaires. Certains candidats engagent simultanément un recours pour excès de pouvoir contre le refus ministériel et une action en concurrence déloyale contre les pratiques d’entrave déployées par les notaires établis. Cette stratégie à deux niveaux augmente la pression sur l’administration et les professionnels récalcitrants.
Le recours à l’expertise juridique spécialisée constitue un facteur déterminant du succès contentieux. La technicité du droit notarial et du contentieux administratif justifie l’intervention d’avocats spécialisés, familiers des spécificités de ce contentieux. Certains cabinets se sont d’ailleurs spécialisés dans l’accompagnement des candidats à l’installation depuis la réforme de 2015.
- Constitution d’un dossier robuste incluant une étude d’impact économique
- Combinaison stratégique des recours administratifs et judiciaires
- Recours à une expertise juridique spécialisée
- Mobilisation des procédures d’urgence (référés)
- Utilisation des voies de médiation institutionnelle
La médiation institutionnelle offre une alternative intéressante aux procédures contentieuses classiques. Le Médiateur des entreprises, compétent pour les litiges relatifs à l’installation des professions réglementées, peut faciliter le dialogue entre le candidat et l’administration. Cette voie, moins antagoniste, préserve les relations futures avec les instances de régulation et peut aboutir à des solutions négociées satisfaisantes.
L’action collective constitue une autre stratégie efficace. Des associations de jeunes notaires se sont constituées pour mutualiser les ressources contentieuses et porter des recours contre les actes réglementaires. L’Association pour la Liberté d’Installation des Notaires (ALIN) a ainsi obtenu plusieurs décisions favorables devant le Conseil d’État, contribuant à l’évolution du cadre juridique.
L’adaptation aux évolutions jurisprudentielles
La stratégie contentieuse doit s’adapter aux évolutions jurisprudentielles. Les décisions récentes du Conseil d’État suggèrent un renforcement des exigences pesant sur l’administration en matière de motivation des refus et d’analyse économique. Les candidats avisés structurent leurs recours autour de ces points, en invoquant les précédents jurisprudentiels favorables.
La connaissance fine de la jurisprudence européenne offre également des perspectives intéressantes. La Cour de Justice de l’Union Européenne a développé une approche protectrice de la liberté d’établissement qui peut être mobilisée à l’appui des recours nationaux. Le mécanisme de la question préjudicielle permet d’ailleurs de solliciter l’interprétation de la Cour sur la compatibilité des restrictions nationales avec le droit de l’Union.
Perspectives d’évolution du contentieux de l’installation notariale
Le contentieux de l’installation notariale se trouve à un moment charnière de son développement. Après six années d’application de la réforme Macron, plusieurs tendances émergent qui dessinent les contours futurs de ce domaine juridique spécifique.
La première tendance concerne le renforcement progressif du contrôle juridictionnel. Les tribunaux administratifs et le Conseil d’État semblent évoluer vers un contrôle plus approfondi des décisions administratives restrictives. Cette évolution, perceptible dans plusieurs arrêts récents, pourrait conduire à un passage du contrôle restreint au contrôle normal sur l’appréciation ministérielle des conditions d’installation.
Une deuxième évolution majeure réside dans l’influence croissante du droit de la concurrence sur le contentieux de l’installation. L’Autorité de la concurrence a progressivement affiné sa doctrine concernant l’équilibre entre régulation professionnelle et ouverture du marché des services notariaux. Ses avis, de plus en plus précis, nourrissent la jurisprudence administrative et judiciaire.
La troisième perspective concerne l’internationalisation du contentieux. Certains candidats évincés envisagent désormais de porter leur contestation devant les instances européennes, notamment la Cour européenne des droits de l’homme, en invoquant l’atteinte au droit de propriété ou à la liberté professionnelle. Cette dimension supranationale pourrait significativement influencer l’évolution du droit interne.
Sur le plan législatif, plusieurs projets de réforme sont en discussion qui pourraient modifier le cadre contentieux. Une proposition vise à renforcer les garanties procédurales offertes aux candidats, notamment en imposant une motivation renforcée des refus et en encadrant plus strictement les délais d’instruction. Une autre piste consiste à créer une voie de recours spécifique, confiée à une commission indépendante, pour désengorger les juridictions administratives.
L’évolution technologique constitue un autre facteur de transformation. Le développement des legal tech dans le domaine notarial pourrait modifier l’appréciation économique de l’impact des nouvelles installations. Les études d’impact traditionnelles, basées sur des modèles économiques classiques, devront intégrer la dimension numérique de l’activité notariale contemporaine.
Les enjeux sociétaux du contentieux de l’installation
Au-delà des aspects techniques, ce contentieux soulève des questions fondamentales sur l’organisation de la profession notariale et son adaptation aux évolutions sociétales. Le vieillissement de la profession, la féminisation croissante et les attentes nouvelles des jeunes générations constituent autant de facteurs qui influencent l’approche juridictionnelle des obstacles à l’installation.
La démographie notariale joue un rôle central dans l’évolution du contentieux. Le nombre croissant de diplômés notaires sans perspective d’association dans les études existantes alimente la pression en faveur d’une application plus libérale du principe de liberté d’installation. Cette réalité sociologique n’échappe pas aux juges administratifs, qui l’intègrent implicitement dans leur appréciation des litiges.
La dimension territoriale constitue un autre enjeu majeur. Le contentieux révèle des disparités significatives entre les zones urbaines attractives, où la concurrence pour l’installation est intense, et les zones rurales désertées. Cette problématique d’aménagement du territoire transcende le cadre strictement juridique et interroge la finalité même de la régulation professionnelle.
En définitive, le contentieux de l’installation notariale apparaît comme un laboratoire juridique où s’expérimentent de nouveaux équilibres entre régulation professionnelle et liberté économique. Son évolution future dépendra tant des orientations jurisprudentielles que des choix politiques concernant l’organisation de cette profession au service public particulier.
